ESG

Les objectifs climatiques étouffés par les résultats trimestriels

Sep. 9, 2025

Pourquoi la logique financière à court terme compromet la durabilité à long terme – et comment les entreprises peuvent en sortir

De nombreuses entreprises se sont fixé des objectifs climatiques ambitieux. Zéro émission nette d’ici 2030, neutralité climatique d’ici 2040, un portefeuille de produits respectueux du climat d’ici 2050. Dans les conférences, les rapports de durabilité et les documents stratégiques, ces annonces sont impressionnantes.

Mais dans la réalité, l’image est différente : trop de ces objectifs restent non contraignants, sont reportés – ou disparaissent discrètement dans un tiroir.

La cause n’est pas un manque de conviction, mais souvent un problème structurel : les objectifs climatiques meurent face aux résultats trimestriels.

 

 

Le statu quo : tension entre ESG et finance


Études : de grands mots, peu d’actions ?


Les études montrent que la durabilité est depuis longtemps ancrée stratégiquement dans la plupart des entreprises – du moins sur le papier.

  • Selon une étude d’IBM (2024), 95 % des entreprises considèrent la durabilité comme une priorité essentielle pour leurs activités. Pourtant, elles investissent 43 % de plus dans le reporting que dans l’innovation.
  • Une analyse de McKinsey révèle que les entreprises qui appliquent systématiquement l’ESG obtiennent à long terme jusqu’à 20 % de rendement supplémentaire. Mais les indicateurs financiers de court terme freinent souvent leur mise en œuvre.
  • Selon Capgemini (2025), 69 % des entreprises voient dans la durabilité un accélérateur d’innovation, mais 54 % admettent avoir perdu des parts de marché au profit de concurrents plus durables.

 

Le débat actuel met en évidence l’écart


Ces études montrent que la durabilité est reconnue, mais qu’elle échoue souvent dans l’exécution. La raison réside dans la tension entre trajectoires climatiques de long terme et logique financière de court terme. Et c’est précisément là que s’enflamme le débat actuel.

Entreprises et investisseurs savent que la performance ESG a des effets mesurables sur la sphère financière – McKinsey démontre que les leaders ESG réalisent à long terme jusqu’à 20 % de rendement supplémentaire. Pourtant, les mesures ESG sont souvent bloquées lors du processus budgétaire car leur contribution au ROI n’apparaît pas immédiatement. Une mesure d’efficacité énergétique qui s’amortit en quatre ans se retrouve ainsi en concurrence avec des projets générant des revenus supplémentaires dès le trimestre suivant.

Pour les directions financières, les indicateurs clés restent le ROI, le taux de rentabilité interne (IRR) ou le bénéfice par action (EPS). Les projets de durabilité, eux, sont souvent présentés en tonnes de CO₂ évitées, en taux de recyclage ou en économies d’énergie – des chiffres qui pèsent peu dans les comités de décision sans traduction financière. Tant que ce pont manque, la durabilité est perçue comme un « centre de coûts » plutôt qu’un moteur de valeur.

Et pourtant, le lien est évident :

  • Réduction de CO₂ = réduction des coûts : une consommation d’énergie moindre entraîne une baisse des dépenses énergétiques, un usage plus efficient des matériaux réduit les coûts d’achat.
  • Prévention des risques et sanctions = sécurisation des flux de trésorerie : les entreprises qui anticipent la réglementation (ex. interdiction des PFAS aux États-Unis) évitent des milliards en amendes et contentieux.
  • Retour sur innovation = nouveaux marchés : les produits durables bénéficient en moyenne d’une prime de prix de près de 10 % (PwC 2024) et consolident les parts de marché face aux concurrents.

Le problème n’est donc pas le manque de conviction, mais le décalage entre la logique de long terme des objectifs climatiques et la gestion financière de court terme. Les trajectoires climatiques se planifient en décennies, tandis que les budgets se décident par trimestre. Tant que le CO₂ n’est communiqué qu’en chiffres d’émissions, il reste un « nice to have ». Ce n’est qu’en traduisant la durabilité dans le langage financier – en ROI, en couverture de risque et en opportunité de croissance – qu’elle obtient le statut nécessaire à une véritable mise en œuvre.
 

 

Pourquoi les résultats trimestriels bloquent les objectifs climatiques


Des horizons temporels différents

Les objectifs de durabilité se projettent en décennies – réduction du CO₂ d’ici 2030 ou 2050. La finance raisonne en trimestres. Si un investissement en durabilité ne délivre un ROI qu’au bout de trois ou cinq ans, il perd face à des projets rentables à court terme.
 

Obligation de reporting plutôt qu’incitation à innover

Au lieu d’investir dans des technologies bas carbone ou l’optimisation des processus, une grande partie du budget sert à répondre aux exigences réglementaires de reporting. C’est nécessaire, mais cela ne déclenche pas de transformation structurelle.
 

Absence de traduction en business cases

Beaucoup d’initiatives ESG sont argumentées sur un plan moral ou réputationnel – « nous devons protéger le climat ». Les CFOs demandent plutôt : « Combien cela coûte-t-il ? Quels risques cela nous évite-t-il ? Quelle valeur ajoutée ? » Sans chiffres clairs, les projets perdent en impact.
 

Des systèmes d’objectifs séparés

Les équipes durabilité suivent des trajectoires de réduction de CO₂. La finance, les ventes ou les achats ont leurs propres KPIs, souvent contradictoires. Tant que tous les départements ne sont pas alignés sur des objectifs communs, les ambitions climatiques s’éparpillent dans des silos.
 

Des risques invisibles

Les sanctions réglementaires, ruptures d’approvisionnement ou actifs échoués sont de véritables risques financiers. Mais tant qu’ils ne sont pas intégrés dans les budgets et scénarios, les investissements en durabilité apparaissent comme un « bloc de coûts » au lieu d’une assurance contre le risque.
 

 

Cinq solutions concrètes pour dépasser la logique trimestrielle


1. Traduire la durabilité en business cases

Présenter les mesures non pas en « tonnes de CO₂ », mais en termes financiers :

  • économies liées à une baisse de consommation d’énergie (ex. 10 GWh de moins = env. 3 M€ d’économies annuelles)
  • périodes de retour sur investissement (ROI, IRR) pour l’efficacité énergétique ou l’économie circulaire
  • coûts d’opportunité évités grâce à l’anticipation réglementaire (amendes, litiges, pertes de marché).

 

2. Relier les KPIs ESG aux indicateurs financiers

Intégrer la durabilité directement dans la gestion d’entreprise :

  • compléter les systèmes d’indicateurs par des ratios ESG-finance (ex. CO₂ par chiffre d’affaires, consommation énergétique par unité produite)
  • aligner les systèmes d’incitation afin que primes et bonus dépendent d’objectifs communs (ex. marge EBIT et réduction des émissions).

 

3. Considérer les risques climatiques comme des risques financiers

Intégrer les risques ESG dans la gestion des risques :

  • évaluer les risques réglementaires (CSRD, taxonomie européenne, interdictions PFAS) en termes monétaires
  • réaliser des stress tests et scénarios (ex. prix du CO₂ passant de 50 €/t à 150 €/t d’ici 2030 : quel impact sur l’EBIT ?)
  • identifier les « stranded assets » qui perdent brutalement de la valeur (ex. centrales à charbon, flottes thermiques).

 

4. Passer du reporting à la gestion active

Utiliser les données ESG pour piloter, pas seulement pour publier :

  • créer des tableaux de bord ESG pour la direction, regroupant émissions, coûts et risques
  • connecter les données ESG aux systèmes ERP et financiers pour orienter les décisions d’investissement
  • exemple : les émissions de CO₂ ne devraient pas seulement figurer dans le rapport de durabilité, mais être discutées au même titre que les ventes lors du processus budgétaire.

Des solutions logicielles comme Envoria peuvent y contribuer : elles combinent données ESG et financières, rendent les indicateurs visibles en temps réel et transforment le reporting en outil de pilotage.

 

5. Considérer la durabilité comme un retour sur innovation

Ne pas seulement insister sur la conformité, mais aussi sur les opportunités :

  • calculer les « green premiums » – les surcoûts que les clients acceptent de payer pour des produits durables (PwC Allemagne : +9,7 % en moyenne)
  • développer des business cases pour de nouveaux secteurs : économie circulaire, matériaux alternatifs, services neutres en CO₂
  • prendre en compte les pertes de parts de marché face à des concurrents plus durables – déjà subies par 54 % des entreprises selon Capgemini.


 

Conclusion : les objectifs climatiques demandent plus que de bonnes intentions


Les ambitions climatiques ne meurent pas faute de volonté, mais à cause de la logique trimestrielle. Les entreprises qui veulent réussir leur transition doivent traduire la durabilité en indicateurs, en business cases et en gestion financière.

Ce n’est que lorsque le CO₂ sera perçu non seulement comme une donnée d’émissions mais aussi comme un facteur de coût, de risque ou de croissance, que les objectifs climatiques pourront survivre – et devenir un avantage compétitif à long terme.

Les résultats trimestriels ne doivent plus dicter l’avenir de la stabilité à long terme. C’est là que réside la clé : la durabilité n’est pas une tâche additionnelle – elle fait partie intégrante du bilan.

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